dimanche 27 mars 2011

Le théâtre d'Albert Camus - Le Malentendu


Voici une synthèse pour vous aider dans vos révisions.


SOURCES :
  • Dictionnaire du Théâtre, P. PAVIS, Dunod
  • Le théâtre, A. COUPRIE, Nathan Université, coll. 128
  • Théâtre, Récits, Nouvelles, Albert CAMUS, édition La Pléiade

  1. Philosophie et histoire : un théâtre de l'engagement

Écho de l'histoire, le théâtre prend position dans les conflits idéologiques et les débats philosophiques. C'est le fait d'auteurs personnellement engagés dans l'action.
  1. Sartre (1905-1980) est inséparable de l'existentialisme : l'existence peut ni se déduire ou se démontrer : elle précède l'expérience. Plongé dans des conditions historiques et économiques qui définissent sa « situation », l'homme ne peut pas faire autrement que de construire sa liberté. Toute action, toute situation impose donc un choix qui engage chacun et autrui. L'homme doit donc inventer une solution conforme à sa dignité (Würde, Würdigkeit). La morale est donc éphémère et relative et est une création de chaque instant.

Exemple :
    « Mon acte, c'est ma liberté », proclame le personnage Oreste dans la pièce Les Mouches (1943)
  1. Passionné depuis toujours de théâtre, Camus (1913-1960), se sert de la scène comme d'une tribune philosophique, un peu à la façon de Sartre. A l'origine est la prise de conscience de l' »absurde », cette découverte que, face à la certitude de la mort, « aucune morale, aucun effort ne sont a priori justifiables devant les sanglantes mathématiques de notre condition »

Exemple :
    > Dans Caligula (1945), Camus présente les conséquences extrêmes. A la mort de sa sœur Drusilla, le jeune empereur Caligula comprend que « les hommes meurent et ne sont pas heureux ». Aussi veut-il changer l'ordre du monde. Usant de sa toute-puissance, il multiplie les folies et les crimes, moins par folie meurtrière que pour repousser les limites de sa liberté et du possible. Mais c'est pour s'apercevoir que l'on ne peut tout détruire sans se détruire

Dans le théâtre de Camus résonnent les interrogations de son temps :
    > Les Justes (1949) mettent en scène un groupe de terroristes qui à Moscou en 1905 prépare un attentat contre le grand-duc Serge, oncle du tsar. Les trois premiers actes en relatent l'organisation : les deux derniers, les conséquences ; arrêté et condamné, Kaliayev reste jusqu'au bout fidèle à la cause de la révolution et meurt courageusement. Une question hante les personnages en permanence : a-t-on, même pour une cause juste, le droit de tuer ?


  1. L'absurde

L'origine de ce mouvement remonte à CAMUS (dans L'Étranger, ou Le mythe de Sisyphe en 1942) et à SARTRE (L'Être et le Néant, 1943).
    Dans le contexte de la guerre et de l'après-guerre, ces philosophes ont brossé un portrait désillusionné d'un monde détruit et déchiré par les conflits et les idéologies.
Les pièces de théâtre de Camus et Sartre n'ont pas les critères formels des pièces appartenant au « théâtre de l'absurde » (pas d'intrigue ni de personnages clairement définis, le hasard et l'invention dominent) même si leurs personnages en sont les porte-parole philosophiques.

Albert CAMUS fonde la notion philosophique d'absurde, mais jamais ne souhaitera que l'on compare ses pièces à celles qui appartiennent au mouvement du « théâtre de l'absurde » : celles Ionesco, Beckett, etc. Il explique en 1955 que lui n'est pas allé vers l'humour, la fantaisie, alors que lui tient à la dimension tragique de ces pièces. Il refuse le comique grinçant, tout comme le sourire. Il s'attache au sérieux de ses pièces (pour certains, la preuve que Camus est dépassé par la modernité).

Philosophie de l’absurde
Les romans, les essais et les pièces de théâtre de Camus sont marqués par sa réflexion philosophique et politique.
L’Étranger (1942), l’un de ses premiers ouvrages, se caractérise avant tout par un style extrêmement neutre — ce que l’on appelle une écriture «blanche» — et méthodiquement descriptif. Le héros et narrateur, Meursault, un employé de bureau, y semble «étranger» à lui-même; dépourvu de sentiments vis-à-vis des êtres et des situations, il agit comme de manière machinale. La lumière, le soleil, la chaleur semblent être la cause d’une soudaine précipitation des événements : sur une plage, à la suite d’une bagarre, il tue un homme de cinq coups de revolver sans pouvoir fournir lui-même de véritable raison à son acte. C’est précisément dans ce décalage entre l’individu et le monde que se situe la dimension absurde de la condition humaine.
L’absurde comme réalité inhérente à la condition humaine est le thème central de la philosophie que Camus développa dans un premier temps. Le Mythe de Sisyphe, essai sur l’absurde, publié la même année que l’Étranger, aborde cette même idée d’un point de vue théorique : comme Sisyphe, condamné à pousser éternellement son rocher, l’Homme est voué à subir un enchaînement automatique d’expériences absurdes. Mais c’est paradoxalement dans la prise de conscience de cette situation qu’il est libéré car, délivré de toute illusion, il peut alors chercher le bonheur en goûtant le présent. Ainsi, à la fin de l’Étranger, alors qu’il se trouve dans sa prison la nuit qui précède son exécution, Meursault, devenu conscient et libre, profite intensément des derniers instants de sa vie.
L’homme révolté
Même si le monde n’a pas de sens, l’Homme ne saurait se passer d’une éthique ni renoncer à l’action. C’est donc l’engagement que Camus a exploré dans un second temps, en particulier dans son roman la Peste (1947). À Oran, dans les années 1940, des rats porteurs de la peste sont découverts et, dès la mort des premières victimes, les habitants placés en quarantaine et confrontés à leur sort présentent différentes formes de réaction : panique, indifférence, mysticisme ou résignation. Le docteur Rieux, bientôt rejoint par d’autres volontaires, décide de résister; son petit groupe s’organise alors pour soulager la souffrance et combattre le fléau. Dans ce récit symbolique, la peste est naturellement un emblème du mal sous toutes ses formes; mais elle agit aussi comme un révélateur qui met l’Homme face à lui-même, l’incitant au renoncement ou à la révolte.
La réflexion sur le thème de la révolte, commencée dans la Peste, est développée dans l’essai l’Homme révolté (1951). Camus y explique que la révolte naît spontanément dès que quelque chose d’humain est nié, opprimé; elle s’élève par exemple contre la tyrannie et la servitude. Parce que la révolte n’est pas un principe abstrait mais l’action nécessairement limitée d’un individu, elle représente, pour Camus, la seule «valeur médiatrice» grâce à laquelle l’absurde peut être provisoirement dépassé.

  • Pourquoi Le Malentendu est-il une mise en scène de cette philosophie de l'absurde ?
  • C'est par l'affrontement avec soi-même que l'on arrive à gagner sa liberté : il ne faut pas l'attendre des autres, surtout quand ceux-ci ont à affronter les plus grands maux (guerre, pauvreté, malheur...).
    > Jan n'a pas fait preuve de cette sincérité, il a joué avec la vie.
    > Il aurait dû se révolter contre la misère qui accable sa mère et sa sœur, d'autant plus qu'il serait le seul homme à pouvoir le faire (absence du père).


  1. Vision tragique, vision absurde

Du tragique à l'absurde, le chemin est parfois court, notamment :
  • lorsque l'homme ne parvient plus à s'identifier à la nature de la transcendance qui l'écrase,
  • ou dès que l'individu met en question la justice et le bien fondé de l'instance tragique.
Comme par exemple, toutes les métaphores de l'histoire comme mécanisme aveugle met en évidence la dimension absurde de l'action tragique
> BÜCHNER cherche à expliquer l'histoire et n'y trouve aucune signification et miyen d'action : « Je me suis senti anéanti sous le fatalisme affreux de l'histoire.[...] L'individu n'est que l'écume sur la vague, la grandeur d'un pur hasard, la domination du génie un jeu de pantins, un combat ridicule contre une loi implacable, qu'il serait sublime de reconnaître, mais qu'il est impossible de maîtriser. »

De nos jours, la confusion entre tragique et absurde est d'autant plus grande que les dramaturges absurdes (dont CAMUS, et Ionesco, Beckett) occupent le terrain de l'ancienne tragédie et renouvellent l'approche des genres en mêlant comique et tragique comme ingrédients de base de la condition absurde de l'homme.
On ne peut plus vraiment parler de tragédie dans les règles, mais il domine un fort sentiment du tragique de l'existence.


=> On peut donc parler à propos du Malentendu de tragédie moderne, où l'on voit transparaître la notion d'absurde, ou encore de drame moderne, où la dimension / le registre tragique est grand.


La vision classique du tragique.

Le tragique en littérature est lié aux rapports entre l'homme et le destin.
La « tragédie » vient du grec et désigne le chant du bouc, lors de son sacrifice en l'honneur de Dionysos.
La tragédie est dont un genre sacré et prend forme au théâtre.
Elle repose sur la conscience de la fatalité contre laquelle se brisent les actions humaines.
Le spectateur ressent alors terreur, pitié et admiration face à ce spectacle et est l'objet d'une catharsis, à savoir une « purgation des passions » (il se purifie de ses passions).


Les sujets tragiques sont souvent extraordinaires et, volontiers empruntés à la mythologie ou à l'histoire ancienne, ils mettent en scène des personnages aristocratiques qui, pris au piège, révèlent la puissance et la noblesse de leur tempérament (cruauté, héroïsme, sacrifice). " Le monde de la tragédie, écrit André Malraux, est toujours le monde antique : l'homme, la foule, les éléments, les femme, le destin. Il se réduit à deux personnages, le héros et son sens de la vie" (Le Temps du mépris).
la dramaturgie repose sur
un état de crise, que les trois unités classiques condensent à l'extrême. L'action bannit la représentation de l'événement au profit de ses retentissements dans l'âme des personnages.
dans le registre tragique,
le langage est noble; l'alexandrin lui prête souvent une solennité qui convient à l'expression de la plainte.


  1. Le Malentendu, une tragédie ?


Une tragédie
moderne
La forme - pièce en trois actes

L'action - la simplicité de l'action ; un moment de crise, le retour du fils
- unité de lieu : l'auberge
- l'action n'est pas liée à la mythologie ou à l'histoire ancienne
- la caractère invraisemblable de l'action
Les personnages Chaque personnage incarne une intention, une force simple
Au départ, les personnages n'avaient pas de nom, ils étaient désignés par leurs rapports familiaux : « le vieux, la sœur, la femme, la mère »
La signification évangélique des prénoms
- les personnages ne sont pas nobles
- Jan se masque en cachant son identité : procédé propre à la comédie
Le monde représenté - la dimension symbolique de la pièce : un monde déchiré, jeté dans l'antinature et dans l'infanticide (vision camusienne de la tragédie et de la tragédie antique.)
- la Tchécoslovaquie, pays de Kafka, symbolique du tragique de la condition humaine ? En tout cas, Europe centrale symbolique pour Camus de l'absence de joie.
Un cadre spatio-temporel peu propre à la tragédie : l'auberge est un cadre modeste, bien différent du cadre habituel de la tragédie (palais de rois, etc.)
Des éléments n'appartenant pas à l'univers de la tragédie :
- détails matériels : le passeport, la tasse à thé... (éléments du drame)




Le langage - un langage « insolite pour rejoindre le ton tragique »
l'ambiguïté, l'éloignement des dialogues
=> « dépaysement »
- la langage naturel, familier, paroles insignifiantes de la vie quotidienne
Le destin ? - la figure du destin est présente (le vieux domestique) …




- mais ce destin, ce représentant de la transcendance ne parle pas : « dieu » est muet, voire refuse d'aider Maria.
> la douleur, quand elle est trop grande, se vit dans la plus grande solitude
Le héros Jan, le héros tragique, a joué avec la vie, est resté « sourd » aux avertissements.
Jan est en quelque sorte puni d'avoir joué avec le destin : il n'a pas pris la vie au sérieux et a entraîné les autres dans sa chute (sa mère et sa sœur, qui se suicident ; Maria, promise à la plus grande douleur)




« Le thème de la tragédie antique est ainsi la limite qu'il ne faut pas dépasser » (Camus)

La vision du monde ; la leçon à en tirer? Le spectateur peut être saisi de pitié et de terreur face à ce spectacle désolant.
Une vision du monde souvent interprétée comme pessimiste.


La tragédie est toujours « malentendu » au sens propre du terme, stupeur et même surdité.
CAMUS : « Tout le malheur des hommes vient de ce qu'ils ne prennent pas un langage simple. Si le héros du Malentendu avait dit « Voilà. C'est moi et je suis votre fils », le dialogue était possible et non plus en porte-à-faux comme dans la pièce. Il n'y avait plus de tragédie puisque le sommet de toutes les tragédies est dans la surdité du héros. »
Camus veut éviter la désespérance et est soucieux de tirer la leçon de l'œuvre : une morale de la sincérité : « Car enfin, cela revient à dire que tout aurait été autrement si le fils avait dit : C'est moi, voici mon nom. Cela revient à dire que dans un monde injuste ou indifférent, l'homme peut se sauver lui-même, et sauver les autres, par l'usage de la sincérité la plus simple et du mot le plus juste. »
    Conclusion

La forme, la technique théâtrale mise en œuvre
  • Une tragédie moderne
Un souci affiché pour : le symbole ambigu, la cohérence, la logique, le naturel

« Par un paradoxe singulier mais évident, plus les aventures du personnage sont extraordinaires, plus le naturel du récit se fera sensible : il est proportionnel à l'écart qu'on peut sentir entre l'étrangeté d'une vie d'homme et la simplicité avec quoi l'homme l'accepte. »
« Dans une œuvre tragique, le destin se fait toujours mieux sentir sous les visages de la logique et du naturel. »

> un appel à la révolte



  1. La drame moderne (20è siècle) : entre diversité et « retour du tragique »


Drame : le drame est une appellation ambiguë.
Étymologiquement, drama signifie, en grec ancien, « action », il englobe ainsi aussi bien la tragédie que la comédie.
Il se spécialise dès la 2e moitié du 18ème siècle pour désigner un genre et une esthétique particuliers, qui donne lieu au 19ème siècle au « drame romantique ».
Ce genre met donc en question les distinctions antérieures entre tragédie et comédie, et revendique la volonté de représenter la vie sous tous ses aspects.

La diversité du drame moderne (début et milieu du 20ème siècle) ne permet pas d'en tirer une définition unique.

La notion de genre disparaît : s'ouvre la période de la « pièce ». La plupart des pièces sont ainsi intitulées « pièce » + un adjectif :
Ex : pièce en un acte/ en deux actes, anti-pièce, farce tragique ; pièces roses, noires, grinçantes, etc.

=> Il n'existe plus d'esthétique unificatrice. Tons, techniques et styles se mélangent et se juxtaposent.

Pourtant on peut voir se dessiner une tendance : le « retour du tragique » dû à la montées des périls et des idéologies (mythes anciens avec Cocteau, par exemple, ou encore Anouilh) qui adaptent les légendes et mythes (Œdipe, Orphée, Electre, Antigone) aux angoisses contemporaines.
    > la forme a évolué : nombreux anachronismes, modernisations
    > le fond : le retour des mythes exprime l'inquiétude et l'horreur d'un temps qui retrouve :
  • avec les guerres : une fatalité collective
  • avec les cruautés : d'un certain humanisme
  • avec la Résistance : une reconquête de la liberté et de la dignité



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